Pigalle Sisterhood : les anti-parisiennes
En 2017, au lendemain du premier tour des élections présidentielles, on avait rencontré les Pigalle Sister Hood autour d’un verre cathartique dans le bar où tout à commencé pour cette sororité de filles qui n’ont pas peur de l’excentricité. Elles jurent, elles rient, et quand elles parlent de leurs convictions c’est une effusion de couleurs, des mots à la tête.
Pourquoi vous avez formé Pigalle Sisterhood et pourquoi le nom ?
Louise : Ça a commencé avec un concert des Brian Jonestown Massacre au Trianon , on était dans un coin, on avait des éventails, on dansait et plein de gens sont venus nous voir nous faisant des commentaires aussi négatifs que positifs. Soit on nous accusait d’être trop excentriques, soit on nous disait que c’était cool.
Puis plein d’occasions se sont enchaînées. On dansait aux concerts de nos potes, on prenait des photos et en fait, on était tellement toutes les 4 qu’on s’est dit qu’on devrait monter un compte Instagram. On avait vu que des collectifs de meufs faisaient ça et on s’est dit pourquoi pas nous !
Julie : On a voulu mettre un nom dessus pour pouvoir le qualifier.
Yasmine: Ce que j’ai ressenti c’est vraiment du bonheur, c’était un évidence, une effusion et en fait c’est juste de l’amitié aussi, le bonheur d’être ensemble, de passer un moment ensemble après le boulot ou après l’école , on se voit, on danse, on aime s’habiller…
Pourquoi vous pensez que les filles françaises ont peur de sortir de l’uniformité ?
Louise : La peur du jugement et la peur d’être traitée de superficielle, que ce soit par les hommes mais aussi par les femmes. Le déterminisme social.
Adeline : Et puis on a un héritage qui est assez uniforme : les icônes française c’est Jane Birkin, Françoise Hardy, Charlotte Gainsbourg … C’est les 3 mêmes nanas qui s’habillent de la même façon : jeans, tee-shirt blanc !
Louise : Quand tu veux sortir de ça on va surtout te dire que tu as passé 4 heures devant ton miroir et que tu es idiote.
Yasmine : On voit tout le temps des articles de type « Comment être la parfaite parisienne » qui nous vendent l’uniforme : jeans taille haute, chemise, espadrilles à lacets. Je trouve ça tellement réducteur. Tu passeras toujours pour une excentrique à côté de ça, alors qu’on a le droit de s’habiller autrement quand même !
Louise : C’est triste parce qu‘à la base Paris était vue comme la capitale de l’élégance mais aujourd’hui les gens ont tellement peur d’être remarqués et jugés ! On est quand même dans un pays où quand tu fais des soirées déguisées les gens ne se déguisent pas !
Adeline : Ce que je trouve triste c’est qu’il n’y a pas vraiment de prise en compte de ce qu’est la parisienne aujourd’hui. On n’est clairement pas des Jane Birkin. Moi je ne me reconnais pas dans Jane Birkin, Yasmine non plus. C’est pas ça la France ! Tous les articles que tu vas voir sur le style parisien c’est toujours la même meuf blanche, alors qu’on est quand même dans un pays où il y a eu beaucoup d’immigration.
Yasmine : Ce qui est drôle aussi, c’est que tu nous donnes le budget de ces meufs, avec leurs 600 balles c’est pas un jean et une chemise qu’on va t’acheter, c’est tout un dressing !
Et pourquoi vous pensez qu’en France il y a ce problème de rivalité entre femmes et d’anti-féminisme ?
Adeline : Parce qu’en fait on est dans une société patriarcale qui nous éduque à l’être aussi. Moi j’ai la chance d’avoir une mère qui m’a toujours dirigée vers ça, mais quand c’est quelque chose dont on ne t’a jamais parlé c’est toute une auto-éducation. C’est super dur de se rendre compte, c’est quand même une énorme remise en question.
Louise : Il faut aussi apprendre à changer son point de vue. Quand tu commences, dans un espèce d’automatisme français, à critiquer quelqu’un , il faut savoir prendre du recul pour changer son mode de pensée. On est tellement éduquées à ça, à être en compétition, dans toutes les sociétés patriarcales, que ça en devient inconscient. Mais c’est seulement de l’éducation ça, on peut le défaire, c’est pas la nature.
Yasmine : Je trouve que l’image du féminisme qu’on cherche à nous montrer à la télé est un peu réductrice. Pour moi l’homme n’est pas l’ennemi de la femme.
Comment aimeriez-vous être traitées par les hommes et femmes en France ?
Adeline : J’aimerais bien que chacun puisse prendre conscience qu’il y a toujours des personnes qui galèrent parce qu’elles sont soit femme soit LGBT, soit de telle couleur ou origine. Il faut prendre conscience des personnes qui sont opprimées en général. Il n’y a pas de « je suis juste féministe » ça n’a aucun sens. Je me suis quand même retrouvée à me battre lors d’une conversation où je devenais dingue, avec un mec qui disait « moi je suis blanc, je connais le racisme anti-blanc » ! Est-ce que tu peux revenir en arrière et te poser la question d’où ça vient et pourquoi on est comme ça ?
Louise : Moi j’aimerais que les femmes puissent, au lieu d’être en compétition, s’entraider et faire plus le pas de se comprendre. Si déjà en tant que femmes on était plus soudées, qu’on apprenait à désapprendre, justement, ce réflexe de jalousie, de compétition et qu’on apprécié la beauté, l’intelligence et toutes les qualités des autres femmes. On serait déjà beaucoup plus heureuses, épanouies intérieurement et on aurait moins besoin de critiquer les autres. Pour les hommes j’aimerais qu’ils écoutent, qu’ils prennent conscience du fait que nous sommes différentes et qu’il y a des choses qui sont plus difficiles pour nous.
Aujourd’hui Yasmine et Louise continuent leur collaboration artistique sur le compte Instagram @dreamersofdecadence où elles collectent leurs inspirations picturales.
Louise Ebel sort également son premier livre « Excessives ! Portraits de femmes inspirantes, artistes ou muses de la belle époque » le 10 octobre prochain aux éditions Favre.
– Extraits du n°2 de Verity Magazine
Envoyer-nous vos poèmes, lettres et contributions