Courrier des lecteurs – David R
Pendant la période de confinement, Verity Journal a reçu de nombreuses lettres de ses lecteurs, exprimant leurs questionnements, leurs espoirs et leurs peurs. Nous en avons sélectionnées quelques-unes pour vous.
Shoah signifie en hébreu « catastrophe » et désigne l’entreprise d’extermination massive des juifs par les nazis entre 1939 et 1945.
En 2020, face à la pandémie du Covid19, je prétends que la Shoah ne s’est pas arrêtée en 1945 mais a persisté jusqu’à nos jours.
Les camps de concentration et d’extermination ont préfiguré la modernité de notre société actuelle. Une industrie dé-responsabilisante, où la destruction est un “process” : administration, distribution de micro-tâches, numérotation des humains, négation de la vie et de la mort. Les cadavres dans les camps étaient soumis à un interdit verbal, les prisonniers devaient parler de « Figuren » (en allemand marionnettes, chiffons). Réification des corps. Imre Kertész disait « Les deux grandes métaphores du XXe siècle : le camp de concentration et la pornographie » : les camps réduisant les juifs à de simples poupées inertes, et la pornographie réduisant les femmes et les hommes à de simples poupées non gonflables. Voilà donc les fondations de la Shoah : la réduction de l’humanité par une industrie de destruction sous le joug de l’idéologie (nazie).
« Les deux grandes métaphores du XXe siècle : le camp de concentration et la pornographie » : les camps réduisant les juifs à de simples poupées inertes, et la pornographie réduisant les femmes et les hommes à de simples poupées non gonflables. «
Les 80 dernières années n’ont été qu’une prolongation de la Shoah : nous vivons jusqu’à maintenant dans un monde où sévit une industrie globale de destruction massive de la vie (humaine, animale et végétale), du climat, de l’environnement et d’anéantissement du sens. Une industrie à base de process, dé-responsabilisante, animée par une administration constituée d’une armée de consultants, d’experts, de structures complexes. Une industrie dans laquelle l’être humain a été réifié, fonctionnalisé, réduit à un statut de « consommateur », d’ « utilisateur », de data, de numéro de portable, d’adresse IP… écrasé sous l’idéologie qu’on appelle néolibérale ou pro-croissance. Voici les traits de notre Shoah. L’idéologie a certes changé depuis le nazisme mais la méta-idéologie demeure : l’écrasante domination de l’idéologie sur la vie même.
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Lueur d’espoir : et voici que le monde s’arrête. Que pour la première fois, de gré ou de force, la valeur vie l’emporte sur la valeur économie. Pour la première fois, l’aberration de tout un système est pointée du doigt. Le Covid19 lance les prémisses d’un second Nuremberg, posant la question de notre responsabilité face à la gestion de cette pandémie. Et, bien au-delà, de notre responsabilité face à une destruction globale et ses conséquences à venir.
La tragédie de la Shoah s’est ouverte en posant la question de l’action de Dieu pour sauver le monde. Nombreux sont les survivants des camps qui avaient espéré en la Providence, mais la brutalité de la réalité leur a fait proclamer la mort de Dieu. Nous sommes aujourd’hui tous des survivants, et si Dieu est déjà mort, la question est aujourd’hui celle de l’action de l’Homme pour sauver le monde.
La catastrophe n’a que deux issues possibles : l’anéantissement total ou la construction, et non la reconstruction. Reconstruire signifierait que l’on veuille revenir aux conditions même qui ont mené à la catastrophe. Cela semble simple à comprendre mais pourtant, combien parlent aujourd’hui du redémarrage « urgent » de l’économie. Vite ! Continuons à détruire, mais plus écologiquement, plus humainement cette fois, et à l’aide de “process“ optimisés. Car tel semble se dessiner le projet des nations et des entreprises qui caressent la possibilité de revenir progressivement à la « normale ».
Si tel est le cas, la brutalité de la réalité à venir nous forcera à conclure cette fois-ci à la mort de l’Homme.
La Shoah, 1939-2020, histoire d’une Humanité qui n’a pas réussi à se sauver d’elle-même.
David Reichman est un créatif, directeur artistique, écrivain et chercheur basé à Paris. Son défintion Q comme Quantique a apparu dans notre abécédaire des confinés.