Courrier des lecteurs – Adélaïde de C « Verity Journal

Courrier des lecteurs – Adélaïde de C

Pendant la période de confinement, Verity Journal a reçu de nombreuses lettres de ses lecteurs, exprimant leurs questionnements, leurs espoirs et leurs peurs. Nous en avons sélectionnées quelques-unes pour vous. Aujourd’hui Adélaïde nous parle de ses inquiétudes quant à la gestion de la crise pour les travailleurs indépendant.

 

Lettre de Adélaïde de Cerjat

Illustration de Benjamin Favrat

 

 

Depuis le début de confinement, pas mal d’articles publiés évoquent les possibles facilités qu’ont les free-lancers à affronter la situation. C’est vrai que la précarité associée au travail indépendant nous connait : plus ou moins de projets selon les mois, la non-obligation de se rendre dans un lieu de travail clos, donc l’isolation, la terminaison de contrats sans aides qui suivent, etc. Toutefois, n’oublions pas qu’en cette même période, la plupart des salariés et entreprises peuvent toucher le chômage partiel, tandis que très peu d’indépendants, tout comme moi, ne perçoivent les fameuses aides annoncées par l’Etat. Beaucoup, donc, qui ne peuvent se permettre de “chômer”.

 

 

Cette précarité nous est souvent attribuée car les travaux créatifs, artisanaux ou certaines professions intellectuelles sont encore perçues comme facultatives par notre gouvernement. Pour beaucoup, l’auto-entrepreneuriat demeure une alternative au monde du travail soutenu par l’Etat : 35 heures (officielles mais souvent dépassées) sur cinq jours de la semaine. Un choix que beaucoup font car, justement, il offre une certaine sécurité. En acceptant ces conditions, l’individu perçoit des indemnités chômage en cas de perte de travail/annulation de contrat et des assurances, que d’autres devront gérer de leur côté. Cette sécurité pousse beaucoup à prendre la direction du salariat au début de leur vie professionnelle, en la voyant comme une obligation. 

 

Pour les plus créatifs et courageux, il est possible de se déclarer en tant qu’auto-entrepreneur, tout en ayant un contrat salarié ailleurs. Cette option est assez attirante pour tous ceux qui se sentent emprisonnés dans leur choix de carrière et leur permet donc de multiplier les projets. Par exemple les consultants, graphistes ou photographes ont la possibilité de garder une liberté sur leur contenu ou arrondir leurs fins de mois. Ce choix permet également à certain.es de proposer à leurs employeurs un contrat de 4j/5 et ainsi d’avoir plus de flexibilité. Seul hic, beaucoup d’employeurs ne souhaitent proposer cette option, particulièrement dans les entreprises peu visionnaires. 

 

Être indépendant, en période de crise sanitaire, cela demande du courage

 

En arrivant en France en 2018, diplômée d’un Bac +5, je n’ai pu opter que pour le statut de stagiaire. Une situation que j’ai accepté de façon naïve pendant plus d’un an avant de me rendre compte que mon travail pouvait valoir bien plus. Cependant, il n’y avait que très peu d’offres dans les secteurs culturels et beaucoup ont recours aux indépendants. L’option d’auto-entrepreneur me semblait alléchante, et elle le demeure, car je pouvais facilement alterner entre plusieurs projets et ainsi garder mes neurones créatifs alertes. Toutefois, je ne pensais pas qu’une pandémie mondiale allait nous tomber dessus et dévoiler, de manière encore plus accrue, les failles de l’administration française qui ne m’avait que très peu épaulée lors de la création de ma micro-entreprise. Être indépendant, en période de crise sanitaire, cela demande du courage car nous sommes amenés à affronter les difficultés financières et sociales qui accompagnent notre statut. Le confinement creuse les inégalités sociales, car, sans aides assurées, les free-lance doivent se battre pour subvenir à leurs besoins primaires. 

 

Toutefois, nos sens créatifs restent en éveil et l’on voit apparaître de toutes parts de nouvelles idées pour continuer à travailler, même quand notre quotidien se retrouve complètement chamboulé. Les intermittents du spectacle, par exemple, trouvent des solutions pour communiquer avec leurs audiences : apparaissent des lives sets, des clips réalisés en confinement, des duo via les réseaux sociaux. Autre exemple avec les fleuristes indépendants qui se découvrent des capacités de livreurs, afin d’apporter un bouquet d’espoir à leurs clients. Il y a du changement également au sein même des foyers : les parents bénéficiant de ce statut doivent trouver maintes activités pour éduquer leurs enfants, tout en restant disponible pour leur travail. La liste est longue et touche environ 1,3 millions d’auto-entrepreneurs en France (chiffres confirmés en 2019 par l’INSEE et qui ne cessent d’augmenter depuis).

 

En Allemagne, le ministre de l’Economie Peter Altmaier déclare que tout le monde sera aidé du “plus petit au plus grand”. Il n’y manque pas : des milliards ont été débloqués pour soutenir la culture et jusqu’à 9 000 euros peuvent être perçus comme aide pour les auto-entrepreneurs. Alors que fait la France pour tous ceux qui contribuent précairement à l’essor de notre start-up nation, si chérie par notre Président ? Ne serait-il pas temps pour nous tou.te.s de déstigmatiser notre approche du travail non-salarié afin d’obtenir plus de libertés et reconnaissance ? Cela nous permettrait peut-être d’apercevoir en France une lueur d’espoir dans un paysage social qui demeure sombre à l’heure actuelle.

 

 

Et si vous aussi vous voulez nous raconter vos expériences, écrivez-nous à submissions@veritymagazine.com 🙂