Le renouveau du Fanzine Féministe
Le Fanzine, arme politique créative des subcultures punk dans les années 80 revient en force version Girl Power.
Ecrit par Sophie Degras
Dans les années 80, le format du « Zine », plébiscité par les subcultures punk a permis un mode d’expression anti-normatif, et ainsi une réécriture des codes du réel par un autre prisme. Prônant l’esthétique « Do it Yourself », le fanzine était également associé à cette culture du « copié collé » allant de pair avec l’essor de la photocopieuse. Mais alors qu’on le croyait mort et enterré, le Fanzine renaît de ses cendres, notamment grâce à l’essor de sororités ayant besoin de partager des points de vues alternatifs sur la culture dominante. Depuis les « Riot Grrrl zines » des années 90, la nouvelle génération de féministes redécouvre alors cet outil de revendication, pour notamment créer plus de représentativité des corps marginalisés par les médias traditionnels et ainsi se réapproprier leurs identités. Certains comme The Mushpit ou encore Polyester sont même devenus des médias à part entière.
A l’origine du zine se trouve le plus souvent une prise de conscience, poussant à l’analyse et à la création de réponses. On remarque également que la plupart des zines féministes ont pour objet d’étude le corps, lieu de toutes les violences symboliques ou physiques faites aux femmes. Comme le démontre Geneviève Pagé dans l’article universitaire L’art de conquérir le contre public, les « zines féministes, par leur esthétisme particulier, leur langage à la fois vulgaire et pédagogue ainsi que les moyens d’échanges et de distribution, permettent la création d’un contrepublic, d’une sphère de délibération rationnelle à l’extérieur de la sphère publique dominante ». Avec le temps, ce contre public permet une modification de la position de « subalterne » des femmes, et participe ainsi à un engagement de ces dernières dans la sphère publique menant à une modification du mécanisme de domination. Ils créent une colère, permettant de s’étonner, s’extirper, et enfin de construire.
Féminisme et Fanzine font si bon ménage que le collectif « Grrrl Zine Fair » s’est donné pour mission de créer la première archive de zines féministes et de cette culture DIY. Véritable bibliothèque du fanzine féministe, vous pouvez suivre les régulières acquisitions via leur compte Instagram. Ainsi, le Fanzine retrouve avec le féminisme son essence première d’arme de contre pouvoir, comme le montre l’édition de « The Repro Rights Zine » aux US, suite à l’élection de Trump. Le but ? Lutter contre les menaces potentielles qui pourraient être faîtes à l’encontre de la santé des femmes en les informant de leurs droits reproductifs, et en leur donnant des conseils clefs quand à l’accès à la contraception. Une initiative datant de 2017, sonnant comme une prophétie lorsque l’on observe ce que s’est passé récemment en Alabama, avec le vote de l’interdiction complète de l’IVG.
A l’ère du digital, les fanzines quittent de plus en plus leurs enveloppes charnelles pour prendre des formes nouvelles et surprenantes, comme le Fanzine Tumblr Illuminati Girl Gang mêlant poésie et artworks, ou encore TabloidArtHistory, un zine auto édité, mêlant Pop Culture et Art. Le plus bel objet de curiosité en la matière demeure « Print it » édité par le collectif Objet Papier, qui s’approprie la technique du « CSS-Print » pour faire directement imprimer au lecteur son exemplaire. Le virtuel devient alors objet, les savoirs se croisent, les frontières se brouillent, à l’image de notre génération.
Vous l’aurez remarqué, la plupart des exemples cités ci-dessus sont très orientés UK, berceau indubitable de la culture zine. Qu’en est-il en France ? La « Grrrls tech zine fair » organisée par la Gaîté Lyrique a permis un tour d’horizon d’une culture contestataire bouillonnante, très en colère, pleine d’idées et de projets.
On y découvre notamment le travail du club féministe intersectionnel des « Cybersistas », rattaché à l’ENSBA de Lyon. Des filles pleines d’énergie, incubant de manière prolifique des projets liés à la question du genre. Elles s’attachent, entre autre à « créer de nouveaux langages » une démarche essentielle pour repenser le monde qui nous entoure. Le langage, combat essentiel des féministes a en effet trop longtemps été dominé par le prisme masculin, par cette victoire inéluctable du «il » sur le « elle », venant même à bout des « elles ». Dans leur Fanzine & recueil de poésies, « Mamma Rassise », le ton est donné dès les premiers vers. Un apparent « non-sens », qui déroute, ébranle. Il faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour faire correctement sonner dans son esprit ce nouveau langage, fait d’images surprenantes venant recréer un réel hors de porté, où l’intuition fait loi. Une belle utilisation, notamment dans le poème « Scarlett », des synesthésies pour éveiller et faire perdre nos sens. Ici, la poétesse se fait voyante et dérègle le réel pour reconstruire un monde, une vérité inaccessible par les règles conventionnelles du langage.
Est-ce donc cela un Fanzine réussi ? Une expérience, anti-normative, dans laquelle il est bon de se plonger pour ne jamais cesser de se questionner. On peut s’en procurer dans des librairies indépendantes, sur Internet (Lire Hystérique du Collectif Junon ou encore Menstruation Magazine) ou encore créer le sien.
Kit de la création de Fanzine :
- On lit le Guide de Vice pour un Zine maison vite fait bien fait
- On suit un cours pour créer son propre Zine sur SkillShare
- Non, il ne faut pas être riche pour imprimer sur un format quali votre zine. On découvre les solutions de Newspaper Club ou encore de Print on Paper pour un fini plus pro, sans vous ruiner.