De la crise existentielle aux Comedy Club : rencontre avec Emilie Fenaughty « Verity Journal

De la crise existentielle aux Comedy Club : rencontre avec Emilie Fenaughty

Emilie Fenaughty est une des membres pionnières de l’équipe rédactionnelle de Verity Magazine. Franco-américaine, elle était parfaite pour comprendre les deux cotés d’un sujet complexe : être une jeune femme aujourd’hui.

Journaliste, chercheuse, écrivain, artiste et maintenant comédienne, on lui a demandé comment elle a décidé de sauter dans le grand bain du Stand Up, et comment ça a changé sa vie.

 

Photos et propos recueillis par Marine Toux

 

 

Emilie Fenaughty en plein travail

Comment t’es tu lancé dans le stand-up ? 

 

Je fais du théâtre depuis mes 8 ans, en amateur plutôt. J’ai arrêté quand je suis arrivée à Paris et que j’ai commencé mon école de commerce. Ensuite j’ai travaillé dans les médias, j’écrivais notamment pour des médias humoristiques comme Topito, ou Vice qui demande une écriture un peu plus personnelle. 

Puis je suis parti aux USA, pour voyager à la base et j’ai tenté de m’installer à Chicago. J’avais envie de me mettre au stand up et je me suis dis que c’était vraiment le bon endroit, sachant que Chicago, avec New-York, c’est vraiment la ville où il y a le plus de comédiens de stand up, dans tous les bars il y a un open mic par soir ! Je me suis inscrite à l’école de comédie The Second City, où sont passés Amy Poehler, Steve Carell, Bill Murray, etc. J’ai pris des cours de stand up, et des cours d’improvisations, et ça m’a reconnecté avec tout ça.

Je suis restée à l’école d’octobre 2018 à mai 2019, puis je suis rentrée en France et j’ai cherché des tremplins de stand-up.  Comme j’avais commencé à écrire mes textes en anglais, j’ai cherché plutôt du côté de la scène anglophone. J’ai découvert une petite communauté d’expatriés à Paris, l’ambiance est beaucoup plus chill que la scène française. Le stand-up français est en train d’exploser de partout, il y a des plateaux, des Comedy Club qui s’ouvrent dans des bars chaque semaine. Et les comédiens qui s’y mettent ont l’intention d’en faire une carrière, donc il y a beaucoup pas mal de compétition.

 

J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de femmes aussi dans le stand-up ? Est-ce que ça vient des Etats Unis ? 

 

Il y a un peu plus de femmes aux USA, mais ça reste 30 mecs pour 5 filles. Par contre il y a plus des scènes qui visent à pousser les filles à y aller. En fait, Lady Like, la soirée que j’organise en France maintenant, c’est un concept que j’ai découvert à Chicago. L’idée c’est qu’il n’y ait que des comédiennes, cis ou trans, sur scène. L’ambiance est super, que des filles qui peuvent parler de trucs crades, loin du cliché de la fille toute propre.

A part ces plateaux non mixte qui se multiplient, ça reste un milieu très masculin. En France, par exemple au Paname Comedy Club à Paris, ça reste encore 15 mecs pour 1 meuf !

 

Tu peux nous parler un peu plus de Lady Like

 

On essaye de faire une soirée “stand-up” et “storytelling”, parce que des plateaux de stand-up il y en a de plus en plus, dont 2-3 qui sont 100% féminin. Mais nous on aimerait aussi inviter des femmes qui sont dans les médias ou les podcasts, et les pousser un peu à raconter des histoires sur leurs vies de femmes, de manière un peu humoristique. On encourage aussi le public à nous envoyer des histoires pour qu’on les lise ensuite sur scène.

On essaye de mettre en avant plus le côté “storytelling”, qui est encore moins connu en France que le stand-up, et que ce soit un moment de partage, plus que de la représentation. En tout cas jusqu’ici on a eu des bons retours, il y a même des comédiennes qui nous ont contacté pour jouer !

La prochaine va se passer au Point Éphémère, on va essayer de faire une bonne soirée avec du stand-up mais pas que. On essaye de ratisser un peu plus large que les soirées classiques de Comedy Club, que ce soit bienveillant et qu’on s’amuse bien !

« En France tu ne peux pas être

drôle et sexy »

 

Tu penses que le fait que ce soit qu’entre filles, ça libère plus la parole ? 

 

Oui, même si les stand-upeuses que l’on programme, en général elles jouent quelque chose qu’elles connaissent, elles ont déjà travaillé le texte donc elles n’ont pas peur. Mais pour la première édition on a aussi eu des filles qui ne faisaient pas de stand-up et qui tentaient le coup. Par exemple on a eu Marine (Normand) de Retard Magazine pour qui c’était la première fois et c’était génial ! Il y a eu une autre journaliste, qui a raconté une histoire de fétichiste des pieds qui lui était arrivée, mais pas du tout en mode “stand-up”. 

Le but c’est de décomplexer la parole, par l’humour, autour de sujets qui touchent les femmes et qui peuvent être tabous, comme l’IVG ou les règles. On aimerait vraiment que le public puisse partager ses histoires, que l’on crée un espace de discussions entre femmes à propos de nos corps, notre adolescence, des moments de nos vies etc. 

Donc oui je pense qu’il y a une certaine libération, même si il y a des mecs dans la salle de toute façon. Mais je trouve ça important que les garçons viennent aussi à ces soirées et qu’on passe tous un bon moment ensemble, même si tous les artistes sont des femmes. Parce qu’il y a encore plein de plateaux où il n’y a que des hommes, et personne n’y fait attention, ça parait normal. Pour la première soirée on a carrément reçu des messages de mecs disant “ça a l’air super votre soirée, mais est-ce qu’on a le droit de venir ?” (rires) Clairement oui, on encourage les mecs à venir !

 

Emilie Fenaughty en plein travail

 

 

Pourquoi tu penses que beaucoup de gens ne considèrent pas les femmes drôles ? 

 

Parce qu’elles ouvrent pas leur gueule déjà ! Parce qu’on est pas socialisé pour faire ça aussi. Après ça dépend de ce que tu considères marrant, il y a des mecs qui trouvent ça drôle de faire l’hélicoptère, donc bon. J’ai l’impression que c’est très français aussi, il y a un humour français un peu à la Bigard, un peu beauf. Les français peuvent vraiment être plus vulgaires que les américains. 

Et il y a encore le cliché qui dit que “une fille drôle, elle est moche”, tu ne peux pas être drôle et sexy. J’ai entendu quelque part que si la fille sur scène est jolie tu vas moins écouter ses blagues, il y a un encore un point de vue du mec qui pense avec sa bite quoi. Parce que la fille “bonne” est objectifiée. Je pense que YouTube a contribué à renverser ça, parce que les Youtubeuse sont drôles et jolies ! (rires) Mais pendant longtemps il y a eu le “physique de l’humour”, comme il y a des “physique de radio”. Alors qu’on ne se pose pas la question pour les mecs. 

 

Quelles sont tes héroïnes ? 

 

Blanche Gardin bien sûr ! Du côté français il y a aussi Marina Rollman qui est super. Et beaucoup d’humoristes qui font des chroniques à la radio, sur France Inter par exemple. 

Et aux Etats-Unis, il y a une grosse culture du sketchs, comme le Saturday Night Live, et il y a une comique que j’adore qui s’appelle Kristen Wiig. Pour le coup, elle est hilarante, elle a un physique de bombe, mais elle te fait des personnages dégueulasses ! Elle fait des trucs complètement barrés, avec des grimaces, etc. Il y a aussi Amy Poehler, Aziz Ansari et Louis CK que j’aimais bien avant qu’il soit un gros pervers. Et sinon Georges Carlin est vraiment très cool, il est dans l’humour depuis 40 ans, il parle plutôt de politique, il retourne l’actualite.

 

« Ça permet de prendre du recul sur la vie humaine qui est parfois vraiment risible »

 

Emilie Fenaughty et sa fidèle partenaire de scène Simone-Raclette

Toi tu utilises l’humour pour parler de quoi plutôt ? 

J’ai commencé l’humour de façon un peu cathartique. J’avais envie de parler de choses qui m’arrivent et le moindre événement dans ta vie peut être tourné de manière à ce que ce soit drôle. Ça permet de prendre du recul sur la vie humaine qui est parfois vraiment risible. 

J’ai un peu du mal à me moquer des gens par contre. Aux Etats-Unis on dit qu’il faut punch up, c’est à dire que si tu te moques de quelqu’un il faut que ce soit un privilégié plutôt. Et pas punch down, donc on ne se moque pas des handicapés, des personnes racisées, des personnes transsexuelles, des gens qui sont déjà discriminées en fait. Alors qu’avant je pense que beaucoup s’en donnaient à coeur joie…  Moi je vais plus avoir tendance à me moquer de moi-même, de ma crise existentielle un peu bourgeoise parfois. Je trouve que c’est plus efficace de prendre du recul par rapport à soi-même pour ensuite prendre du recul sur la société. Donc forcément il y a un peu de politique dans tout. 

Je n’ai pas encore trop testé l’humour d’actualité, j’aimerais bien mais il faudrait que je lise le journal tous les matins en fait. Pour l’instant je suis au courant de ce qu’il se passe quand je vais à la salle de sport et qu’il y a BFM TV en face de moi ! (rires

En ce moment je travaille sur un personnage qui est une “Influenceuse lifestyle” mais un peu dépressive, ou en tout cas qui a trouvé le filon de la dépression pour se faire de l’argent sur Instragram.

 

Comment ça se passe ton quotidien ? 


J’écris des blagues, un peu trash ou un peu absurde et après j’essaye de les lier entre elles, de raconter une histoire. Quand tu débutes dans un Comedy Club tu fais 5 minutes de scène, et au bout d’un moment, si ça plait, tu peux faire de plus en plus de temps. Tu peux en cumuler plusieurs, il y a des soirées organisées dans différents lieux sur tous les jours, toutes les semaines. C’est vraiment très récurrent. Tu contactes les lieux pour qu’ils te donnent une heure, mais à force de connaître les gens, c’est eux qui t’appellent pour que tu joues. Moi je suis sur scène entre une et trois fois par semaine, c’est super ! 

Après j’ai aussi des projets à côté, j’essaye d’écrire un roman, j’ai enregistré un podcast la semaine dernière avec un ami, j’organise la soirée Lady Like, etc. Après mon parcours très cadré : prépa et école de commerce, je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de continuer comme ça et maintenant je mène une vraie vie de freelance/artiste !

 

 

Pour voir Emilie sur scène et écouter plein d’autres histoires, rendez-vous à la soirée Lady Like le 13 février 2020 au Point Éphémère à Paris ! – Entrée libre, plus d’infos sur l’événement Facebook.