Confession: Objet Convoité*
Ce que vous n’oseriez pas dire à haute voix, mais plutôt dans un magazine à grand tirage
Mots et Illustration par Hercules, Paris
TOY BOY
« Je l’avais rencontré quelques temps auparavant. Un homme d’une cinquantaine d’années. Une soirée mondaine ou les conversations se pâment et se délitent en volutes puant la mesquinerie. Je me sens jeune et risible dans ces ambiances où la parole fait office de peinture sociale. Aujourd’hui c’est un autre sentiment qui m’anime. J’ai besoin d’un stage et il connaît du monde. Je sais que je lui plais, l’autre soir, ses yeux me dévoraient et j’étais mal à l’aise. Dans l’ascenseur qui m’emmène chez lui, je prends conscience de mon changement d’état. Je me suis maquillé en un autre garçon.
Comme si je me rendais à un entretien d’embauche, la séduction en plus. Je joue sur ce qui lui plaît chez moi. Je ressemble à un petit éphèbe, bien peigné mais ma personnalité est en alerte. Elle devra susciter son appétit. L’ascenseur me dépose au cinquième étage où il m’attend, circonspect, sur le pas de la porte. J’ai trente minutes de retard. Mais ses yeux sont en éveil. Il me tape une bise qui pue déjà l’alcool. Je me demande si c’est une fatalité. Si être vieux et riche, c’est être voué à s’enivrer dès onze heure du matin en cherchant désespérément sa jeunesse chez plus jeune que soi. Je suis partagé entre pitié et jugement. Cet homme m’attriste autant qu’il m’agace. Moi, je joue simplement sur l’ambiguïté. Pas question de coucher. Juste de plaire. Je lui souris à pleines dents. Je l’écoute tout en découvrant son intérieur maculé de dorures, de coquillages et de décorations majestueuses. Il me raconte les meubles, il me raconte le bleu de Prusse qui entache chaque pièce de son logis. Ici, toute l’attache symbolique s’applique à la dimension matérielle. L’appartement est à son image: opulent, grandiose et écœurant. Il se galvanise en une avalanche de chiffres qui me sautent au visage : tout à un prix dans son monde.
Je me rend compte que je rêverais d’avoir sa vie à son âge. Cet homme a tout pour s’épanouir. Et pourtant le personnage me terrifie. Je le sens vicié au sein de sa pseudo générosité. Plus le temps passe entre ces murs bleus, et plus je me sens réifié. Je suis devenu un joli meuble moi aussi. Je deviens une proie, un met, un jouet. Je me doute que ce que je suis au fond de moi ne l’importe peu. Il se fiche de ma vie, seules la beauté et la jeunesse comptent.
Ce sont les seules choses qui m’appartiennent encore et qu’il n’aura plus jamais. Encore une fois, pas question de coucher. Je cherche juste un stage. Mais plus les conversations s’effilent et plus je tombe doucement dans son piège.
Il me glisse à son niveau. Il me plonge dans son ivresse. Instantanément vide, mon verre se remplit. Comme si j’étais devenu le tonneau des Danaïdes. Mon ivresse s’oppose à la sienne, plus brutale, plus contrôlée. Moi je me sens simplement flancher doucement. Il a la bouteille que je n’ai pas encore sur ce terrain là. Le repas se termine, j’aborde le stage. Il me parle brièvement de contacts possibles. Je note deux trois noms. Je prend conscience qu’au fond il ne m’aidera pas vraiment. Ah mais « qu’est-ce qu’on est content » me lance t-il. Il m’invite sur un canapé. Bleu de Prusse. Il me montre des vidéos et il roule un joint. Je le trouve presque bête. Les vieux sont les plus risibles à ce jeu de paraître cool.
C’est comme si me proposer un joint allait le faire paraître plus séduisant à mes yeux mais il n’en est rien. Je sombre bêtement dans une phase de profit. Je prend ce qu’on me donne. Devant la vidéo de son mariage, sa main balaie doucement mon flanc, puis mes cuisses, puis mon dos pour revenir à mon flanc. Je suis halluciné, bourré, drogué. Mon objectif reste inchangé : je ne suis pas venu ici pour coucher. Mais je trouve la situation grotesque. L’individu est en train de me peloter devant la vidéo de son mariage. Il rie au nez de sa fidélité. De son mari que je connais. J’ai l’impression de faire parti d’un spectacle de clown grotesque.
Je ne sais plus quoi dire. Je profère des commentaires pour essayer de calmer la hardiesse de ses mains. Quel beau mariage. Quel beau couple. Vous semblez si heureux. Mais je n’enlève pas ses mains. Aujourd’hui encore je ne comprend pas pourquoi. J’ai du rester quinze minutes devant ce mariage. Avec cet homme dégoulinant. Avec ces mains froides. Puis je me suis levé nonchalamment. J’ai pris mon manteau et je suis parti. A 17h. Complètement saoul et halluciné dans les rues du dix-septième arrondissement.
J’ai un mélange de compassion et d’horreur pour ces vieux tigres. En y réfléchissant, j’espère ne jamais finir comme ça.
Je ne pense pas d’ailleurs. J’aime bien trop mon âge pour ne pas en profiter. Je comprends les failles de ces gens qui n’ont souvent pas pu vivre leur sexualité pleinement à l’aube de leur entrée dans l’âge adulte. Mais j’éprouve un dégoût profond pour cette omnipotence du « tout s’achète ». Je ne suis pas ton jouet. Même pour un stage.
Cet article est paru dans le magazine Verity No.2
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